Victor Prouvé et l'Orient des colonies

 

       Séjour de paix et de joie : méditation, 1899, huile sur toile, 180 x 265 cm. Petit Palais.

    Quelle représentation de l’Orient et ses colonies Victor Prouvé met-il en avant à travers ses œuvres et comment celle-ci évolue-t-elle ?

Vous pouvez écouter une version audio, enregistrée par Anastasia, de la notice ci-dessous


 Né le 13 août 1858 à Nancy en Lorraine, Victor Prouvé est le fils de Gengoult Prouvé, dessinateur en broderies et d’Eugénie Prouvé, se destinant à la profession de lingère. Baignant dès le plus jeune âge dans un milieu artistique, il se lance lui aussi dans une carrière artistique dans laquelle il exerce les métiers de sculpteur, graveur et peintre et travaille le cuir, la reliure ou encore la broderie, ceci lui valant une reconnaissance nationale et internationale ainsi que le surnom d’homme à « cent métiers ». À la suite de sa formation à l’Ecole municipale de dessin de Nancy et à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris et influencé par son époque, Prouvé s’inscrit progressivement dans le mouvement artistique et littéraire orientaliste. Synonyme d’exotisme, celui-ci illustre l’inspiration nouvelle qu’ont pu trouver les artistes aux XVIIIe et XIXe siècle à travers l’expansion coloniale en Afrique du Nord. C’est à travers les thématiques de l’orientalisme que celui-ci réalise des œuvres d’un Orient romantisé et fantasmé. Ainsi que de nombreux peintres, il s’inspire tout d’abord de récits militaires, de voyage, ou encore de recherches scientifiques et commerciales afin d’apporter une touche de renouveau dans ses œuvres. C’est dans ce registre que Victor Prouvé crée sa toile Nourmahal, en s’inspirant du poème de Victor Hugo tiré du recueil « les Orientales » et nommé Nourmahal la Rousse. Dans sa peinture, il utilise l’Orient comme un décor dans lequel il place une jeune femme rousse, représentative du modèle européen, par ses attraits physiques comme sa carnation pâle. Ici, le peintre utilise des objets orientaux tels le tapis, les soieries, les coussins ou encore le narguilé. L’orient apparaît alors comme un objet de fascination romantique mais il reste toujours un simple décor et une illusion aux yeux de Prouvé. Cette représentation exotique et sensuelle est ce qui inspire les artistes lors de la période coloniale en Afrique du Nord. Néanmoins, cela ne semble pas représentatif de la réalité de l’orient et de ses colonies dans sa globalité. En 1888 et en 1890 et sous les conseils de son ami Emile Friant, il se rend pour la première fois en Tunisie. Ces voyages à travers ce pays et ses colonies sont pour lui révélateurs, ils lui apportent des nouvelles lumières à sa palette de couleurs et transforment son style artistique. Il retransmet à travers son art les lumières et couleurs puissantes et chatoyantes aux tons plus chauds comme des variations de rouges, jaunes ou bruns des paysages, lui permettant de créer son propre univers artistique. Il y représente des cavaliers, des habitats, des caravanes ou encore les coutumes des habitants. Par ailleurs, ce nouveau savoir-faire s’applique également au portrait coloré d’Emile Gallé en 1892 ainsi que d’autres portraits de personnalités ou autres peintures auxquels il apporte ces nouvelles touches de couleur. A cet égard, il réalise en 1899 une peinture à l’huile nommée Séjour de Paix et de Joie : méditation et dans laquelle il place une femme et un homme dans une prairie où il exploite des couleurs pastel mais également vives tels du bleu ciel, du rouge, du jaune ou encore du vert, ceci à l’aide des jeux de lumière.  Lors de ses voyages en Algérie et de la même façon qu’en Tunisie, il rapporte de nouveau des aquarelles, des dessins et des croquis dans lesquels il joue sur la lumière et la splendeur des couleurs. Dans ses œuvres, on trouve des scènes de chasse et de combat des paysages typiques, des oasis, villes orientales ou les déserts. Les habitants, leurs coutumes et habits sont-ils véritablement représentés tels qu’ils sont dans leur vie quotidienne et la réalité ? Ils semblent plutôt être la vision occidentale de l'orient, qui ont créé leur propre « orient », ceci à travers le style de leurs œuvres et le regard qu’ils portent sur les colonies. Certaines peintures de Prouvé et de nombreux artistes reflètent alors davantage les fantasmes érotiques du public occidental que la réalité quotidienne des habitants colonisés. Toutefois, même si l’Orient consistait en une source intarissable d’inspiration et ceci à la faveur de la colonisation, certaines peintures orientalistes agissaient comme de la propagande culturelle prônant l’impérialisme de la France et la beauté de son empire colonial. Par la suite, Victor Prouvé utilise son art pour réaliser de la propagande coloniale et lors de la Première Guerre mondiale. C’est à cet effet qu’il crée l’affiche « Ce que nous devons à nos colonies » en 1918.  Dans la partie supérieure de l’affiche, on constate un cavalier brandissant un drapeau français et issu d’un décor exotique évoquant l’Afrique du Nord. Dans la partie inférieure de l’affiche se trouve un texte faisant l’éloge des colonies telles la Tunisie, l’Algérie ou le Maroc pour leur rôle majeur dans la victoire des alliés dans la Première Guerre mondiale. En effet, les colonies ont notamment participé en envoyant des soldats au front et en permettant le ravitaillement en piochant dans les matières premières des colonies. Dans le texte en-dessous, Victor Prouvé promeut le colonialisme en évoquant une « affection commune » entre les colonies et la France métropolitaine. Cependant, cette unité mise en avant est à contraster avec l’écart qu’il établit entre les « volontaires indigènes » qui ont combattu pour la France « avec autant de courage que les Français eux-mêmes ». Il y a un paradoxe entre le fait qu’il ne les considère alors pas comme des Français mais prône la « nécessité pour la France de colonies » et l’importance de leur effort commun. L’orientalisme s’est progressivement atténué et a peu à peu disparu par l’indépendance des colonies comme celle de l’Algérie en 1962. En conclusion, Victor Prouvé est alors très représentatif des artistes de cette époque et de leur regard sur les colonies. L’Orient et ses colonies représentent pour lui et pour de nombreux autres une source d’inspiration et un fantasme qu’ils exploitent à travers leurs nouvelles palettes de couleurs et leurs jeux de lumière. Prouvé a lui-même évolué artistiquement et a transformé son style à travers ses voyages au sein des terres de protectorat. Néanmoins, ces œuvres peuvent souvent être qualifiées de propagande culturelle mettant en avant une image trompeuse ou même condescendante de l’Orient.

 


Victor Prouvé, Nourmahal, 1886, Musée des Beaux-Arts, Nancy. 

                                                       

 

   Ce que nous devons à nos colonies,1918, Palais des ducs de Lorraine – Musée lorrain, Nancy



Notice rédigée par Anastasia R.
Sources :

Victor Prouvé
https://www.nancy.fr/fileadmin/documents/Culturelle/Culture%20%C3%A0%20Nancy/Scolaires/2019/victor_prouve_valise_pedagogique.pdf
https://www.du-grand-art.fr/arts-decoratifs/19eme-siecle/art-nouveau/artistes/victor-prouve/
https://musee-ecole-de-nancy.nancy.fr/informations-transversales/actualites-2658/victor-prouve-16539.html?cHash=54799b6016ad2952eedf025d0bcc770d

L’orientalisme
https://www.beauxarts.com/grand-format/lorientalisme-en-3-minutes/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Orientalisme

Œuvres
http://anom.archivesnationales.culture.gouv.fr/ulysse/notice?id=FR_ANOM_0009Fi484
https://www.librairiepointdecote.fr/livre/946182-victor-prouve-voyages-en-tunisie-1888-1890-d--malzeville-editions-serpenoise
https://www.parismuseescollections.paris.fr/fr/petit-palais/oeuvres/sejour-de-paix-et-de-joie-meditation#infos-principales
https://musee-lorrain.nancy.fr/fr/le-musee/expositions-passees/lorrains-sans-frontieres-c-est-notre-histoire-32
Victor Prouvé voyages en Tunisie 1888-1890 dessins aquarelles huiles. Exposition Malzéville La Douëra 12 mai-27 juin 1999 illustrations en noir et en couleur
dessins, aquarelles, huiles

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