Les Sœurs de la Doctrine chrétienne de Nancy en Algérie


 Comment les Sœurs de la Doctrine Chrétienne ont-elles contribué à l’expansion de l’influence de l’instruction française et du catholicisme à partir de 1841 ?

Vous pouvez écouter une version audio, enregistrée par Émile et Sacha, de la notice ci-dessous

 

Les Sœurs de la Doctrine Chrétienne sont une congrégation fondée en 1718 par Jean-Baptiste Vatelot, un chanoine toulois. A partir de 1821, la mère supérieure Pauline de Faillonnet développe les missions et envoie des religieuses au Luxembourg, en Belgique et en Algérie, objet de cette notice.

Sœur Louise Leclerc, première dirigeante des Sœurs de la Doctrine en Algérie


En juillet 1834, un gouvernement général des possessions françaises est institué dans le nord de l’Afrique dans les environs immédiats d’Alger, Oran, Bougie et Bône. L’installation de ce gouvernement provoque un certain besoin d’importer la culture française, ses mœurs et la religion. Le diocèse d’Alger est alors érigé en 1838 avec Monseigneur Dupuch à sa tête en tant qu’évêque puis archevêque à partir de 1866. Il permet de mener à bien l’installation des colons français en Algérie en installant le mode de vie à la française et en permettant à ces colons de pouvoir pratiquer leur religion dans un pays qui était et est toujours aujourd’hui à majorité musulmane.
Le 18 octobre 1840, monseigneur Dupuch écrit à mère Pauline de Faillonnet pour lui proposer d'éduquer les petites filles de Philippeville (Skikda, aujourd’hui), c’est le début de la mission des Sœurs de la Doctrine Chrétienne en Algérie. Près de 120 ans d’histoire à rebondissements, balancée entre réformes politiques et baisse de l’influence de la religion incontestable dans un cadre de plus en plus laïque qui aboutit avec la loi de séparation des Églises et de l'État de 1905. Cette laïcisation en France métropolitaine contribuera d’ailleurs à compliquer la mission des religieuses en Algérie.

Le ministre de la Guerre, dont dépend l'Algérie, écrit à la Mère supérieure de Nancy en 1846 à propos d'une "salle d'asile" et d'une école à Bab-Arzou (Alger)/ADCN E2 Evt1/Algérie (1840-1856)


Les Soeurs avaient donc pour mission, supervisées par le diocèse d'Alger et le gouvernement français, d'éduquer les filles et aider dans les hôpitaux (dans des hospices par exemple). Concernant l'éducation, les Soeurs de la Doctrine Chrétienne devaient diffuser la langue française notamment dans le but de propager l'influence française sur les générations les plus jeunes et influençables. Cette mission s'inscrit donc clairement dans l'optique coloniale du gouvernement. De plus, la propagation de la religion chrétienne est primordiale au sein de cette colonie à majorité musulmane.
La foi chrétienne était aussi inculquée dans les hospices quand les Soeurs soignaient les malades, la foi chrétienne pouvait ainsi être transmise de différentes manières, étendant de plus en plus l’influence française en Algérie.


La mission des Sœurs durant la totalité de la période aura été rythmée par les changements politiques notamment dans le rapport à la création d’une république qui cherche à s’affranchir de la religion, rendant leur tâche initiale de plus en plus ardue. De forts enjeux religieux et plus particulièrement politiques sont alors incarnés par ces missionnaires au service de l’État. Les sœurs sont sous la juridiction des diocèses en Algérie mais aussi du ministère de la Guerre qui prend à bras le corps cette cause et ce besoin d’éducation dans ces nouveaux départements français. Par exemple, le ministère de la Guerre a requis la présence de plus de sœurs pour faire face à une redoutable épidémie de choléra en 1849, en faisant plus de 2000 décès, particulièrement à Oran. D’ailleurs, sœur Louise Leclerc, la première mère supérieure en Algérie décédera de cette maladie en 1850.
Elle était une fierté de la maison de la Doctrine Chrétienne et selon de nombreuses archives a "parfaitement dédié sa vie à Dieu" et a lancé plus de 120 ans d’histoire.


Les sœurs sont encouragées par l’arrivée de Monseigneur Lavigerie (1867) qui met en place un programme d'assimilation des Arabes, mais de l’assimilation par des moyens moraux: "l’école et la diffusion de la langue française (...) par une prédication évangélique discrète, préparée par la libre diffusion des bienfaits de la charité chrétienne". Monseigneur Lavigerie est d’ailleurs très intéressant dans son lien avec la ville de Nancy, il est l’évêque de la ville lorraine entre 1863 et 1867. De plus, il fonde l’ordre des Pères Blancs qui sont des prêtres missionnaires en Afrique, en 1879. Cela montre qu’il y a des tensions et une lente mise en place de l’éducation en Algérie, puisque plus de 25 ans après l’arrivée il y a toujours des tractations pour mettre un programme en place.
Leur mission va connaître de nombreux soubresauts liés au contexte en France métropolitaine notamment avec la circulaire Mac-Mahon de 1868 qui va porter un coup aux écoles religieuses dont les sœurs sont les garantes en les remplaçant par des écoles mixtes (regroupant Européens et Arabes).



En 1962, l’indépendance de l’Algérie est décidée par les accords d’Évian et cela marque le déclin de la mission des Soeurs de la Doctrine Chrétienne. Les archives montrent quelques réactions et états d’âmes a posteriori et sont assez intéressantes à découvrir. Pour une religieuse lorraine “c’était un petit bout de la France qui partait”. D’autres disent ceci : “Pendant la guerre, on était plus pour que l’Algérie reste française. Mais quand l’indépendance est venue, on s’y est vite mises.” Ce n’est qu’en 1976, que les Sœurs qui s’occupaient de l’éducation quittent définitivement l’Algérie au moment où l’État maghrébin nationalise et arabise les écoles. Ces quelques mots accompagnent leur départ 

“Alors il a fallu rendre les clés des écoles, ça a été la débandade, il a fallu partir.”

A noter que certaines sœurs sont restées en Algérie pour s’occuper des hôpitaux et que celles qui rentraient ont été placées dans des maisons, pour faciliter leur adaptation, dans le sud de la France.


Notice rédigée par Émile et Sacha

 

Sources :
- Archives historiques de la maison mère de la Doctrine Chrétienne à Nancy (vifs remerciements à Sœur Marie-Ghislaine, archiviste de la congrégation !). Notamment dossiers ADCN E2 Evt1/Algérie (1840-1856) et ADCN E2 Evt4/Algérie (1940-1983)

- Sœur Marie-Edmonde Renson, "Les Sœurs de la Doctrine chrétienne en Algérie: fondation et expansion", in Histoire des Sœurs de la Doctrine chrétienne de Nancy, tome 4, 1999. Plusieurs des photographies illustrant cet article sont tirées de ce livre.
- Entretiens familiers des Sœurs de la Doctrine chrétienne depuis 1700, sans date (probablement XIXe siècle), édité par la Congrégation des Sœurs de la Doctrine chrétienne à Nancy 

Le siège de la congrégation à Nancy, 2021



 

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