Metz et la « Nuit des paras », juillet 1961

 

À la sortie du Trianon, dancing de Montigny-lès-Metz, juste après la fusillade.
Photo Archives RL

Vous pouvez écouter une version audio, enregistrée par Aymeric, de la notice ci-dessous

 

En quelle mesure la ville de Metz devient-elle un "Gewaltraum" dans la « Nuit des paras » ?

 

Tout d’abord, la « Nuit des paras » est tout sauf un évènement indépendant de son contexte. En effet, la traque parachutiste de Metz, c’est-à-dire la traque de toute personne d’origine – réelle ou supposée – algérienne, par le 1er régiment de chasseurs parachutistes, s’inscrit dans le contexte de la guerre d’indépendance algérienne, dont la portée est particulièrement forte en France plus particulièrement en Moselle et en Meurthe et Moselle, où l’on compte alors environ 30 000 Algériens. Metz ne connait pourtant pas la même démographie : en 1954, les 1800 Algériens habitants à Metz ne représentent que 2% de la population globale. Toutefois, malgré leur faible nombre ces derniers concentrent l’attention à la fois de la presse locale et de la municipalité. Ceci s’explique à partir d’août 1955 par les nombreux attentats politiques –qui frappent en premier lieu les Algériens -, dus aux rivalités entre le MNA et le FLN, deux mouvements indépendantistes algériens rivaux ; mais aussi par des assauts de café-bars et des meurtres commis en pleine rue ; tous ces facteurs tendant à la criminalisation du milieu algérien, ce qui se traduit par une forte discrimination à l’embauche et par une pression policière très forte à leur encontre. 

Les « paras » - surnom utilisé pour qualifier le 1er régiment de chasseurs parachutistes (1er RCP) -, quant à eux, forment un corps d’armée prestigieux, ayant participé à la grande répression d’Alger en 1957, et qui s’illustre par son recours particulièrement fréquent à la torture. De plus, ces derniers développent un esprit de corps particulièrement poussé, ce qui se traduit par la construction d’une idéologie de régiment, une forte envie du combat ainsi qu’un fanatisme de la victoire ayant pour revers une hantise profonde de la perte de l’Algérie. À la suite de l’échec du putsch des généraux, comme beaucoup de régiments impliqués, le 1er RCP est soumis à différentes mesures de discipline : un grand nombre d’officiers est muté et un nouveau chef de corps, le lieutenant-colonel Lafontaine, est nommé. Finalement, le 1er RCP est rattaché à la 11e division légère d’intervention nouvellement créée et transféré en métropole. Ainsi, le rattachement du 1er RCP à la 11e division légère d’intervention et son transfert dans la caserne Serette à Moulins-Lès-Metz, au début du mois de juillet, marque le début d’une violence débridée, et fait franchir à cette dernière un nouveau seuil. 

De fait, moins de 24h après leur arrivée, 5 parachutistes agressent 2 Algériens. Juillet 1961 sera pour les Messins, comme pour les Algériens, un mois où la violence atteindra son paroxysme, et où les agressions et affrontements ne cesseront de se multiplier. C’est dans ce cadre que le samedi 22 juillet 1961 (selon le rapport établi par la 16e Brigade de police judiciaire), au soir, éclate une bagarre entre un groupe d’Algériens et le 1er groupe de livraison par air (également stationné à Metz), au dancing le Trianon. Le lendemain, au soir, le groupe de militaires revient accompagné de paras. Un soldat (Henri Bernaz) croit reconnaître un de ses agresseurs; l’Algérien s’échappe aussitôt et plusieurs paras se lancent à sa poursuite. A cette course poursuite qui ne concernait d’abord qu’un seul Algérien, s’ajoutent un autre groupe d’Algériens, qui, dans leur fuite, tirent sur des paras, ce qui les blessent – plus ou moins mortellement suivant les blessés. 

A partir de ce moment, la ville devient un Gewaltraum (concept utilisé dans les travaux de Lucas Hardt portant de manière générale sur la Lorraine dans et plus particulièrement sur la nuit des paras ), c’est-à-dire le lieu d’une violence débridée échappant totalement au contrôle des institutions : des paras se mobilisent en masse, font plusieurs blessés dans des cafés franco-marocains, s’attaquent à tout individu ressemblant de près ou de loin à une « nord-africain », et arrêtent même des journalistes qui refusaient de ne pas prendre des photos. La traque se poursuit jusque 2h30 du matin : des Algériens sont blessés, d’autres jetés dans la Moselle ; d’autres encore ne se rendent pas à l’hôpital par peur, ce qui complexifie le décompte des victimes. 

Le bilan officiel fait état de 4 morts et de 28 blessés dans lesquels les Algériens sont surreprésentés, mais, selon la Ligue des droits de l’homme et son antenne mosellane, le nombre de blessés algériens se situe plutôt autour de 80 et 100. Dans les jours qui suivent, la ville de Metz prend l’aspect d’une ville en état de guerre, un dispositif renforcé de maintien de l’ordre est mis en place. Les paras se joignent aux patrouilles ce qui témoigne d’une absence réelle de contrôle de la violence par les institutions. Afin de protéger les Algériens, se met en place une ghettoïsation, qui interdit l’accès à certains espaces de la ville aux militaires. Si Metz, durant la nuit du 23 au 24 juillet est devenue un Gewaltraum, la violence s’est donc pérennisée et s’est inscrite durablement dans la ville, à la fois dans les opinions populaires, majoritairement défavorables à la présence d’Algériens dans la ville, mais aussi dans ce processus de maintien de l’ordre à travers une ségrégation sociale et des patrouilles, puisque c’est seulement au mois de septembre 1962 que le 1er RCP quitte la Moselle.

 Notice rédigée par Aymeric

 

 Sources


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