Jules Crevaux, un explorateur lorrain en Amazonie


 

Problématique: La démarche de Crevaux est-elle purement scientifique ou imprégnée des valeurs coloniales?

 

Jules Crevaux est né en 1847 et mort en 1882 en Argentine. Issu d’un milieu modeste, il devient orphelin à 15 ans. Il étudie au lycée de Nancy et poursuit ses études en médecine, avant d’intégrer l’Ecole de médecine navale de Brest . Il est reçu aide-major de la Marine en 1968 et embarque dans le transport-hôpital Cérès qui part pour la Guyane en 1869. Il s’engage dans la marine pendant la guerre de 1870, durant laquelle il est fait prisonnier. Il s’évade, et retourne terminer ses études à Paris, qu’il termine en 1872, avant de devenir médecin. 

En 1873, il embarque le long des côtes de l’Amérique Latine en tant que médecin de première classe pendant trois ans. En décembre 1876, il embarque pour la Guyane, aux Iles du Salut, dans le contexte de l’épidémie de fièvre jaune. Épris d’aventure, il commence sa première expédition en juillet 1877, après avoir obtenu les autorisations pour explorer le Haut-Maroni. Ses faits sont relatés aux nancéiens par le biais de la Société de Géographie de l’Est à laquelle il est rattaché. Il conte ses aventures quand il rentre lors de conférences et publie des comptes-rendus. Il fait la fierté de la Lorraine et attire beaucoup de public. 

De 1878 à 1879, il part dans une deuxième expédition dans le Haut-Amazone, allant de Cayenne aux Andes. La même année, il publie sa revue “Le Tour du Monde”.

En 1880, il repart lors d’une troisième expédition pour une mission officielle jusqu’en 1881 au Vénézuela et en Nouvelle-Calédonie

Il part pour une quatrième expédition dans le Gran-Chaco avec l’astronome Billet, le peintre Auguste Ringun, et un médecin. Mais le 27 mars 1882, son équipage est massacré dans un village d’Argentine

 

Pendant très longtemps, il revêt la figure de l’explorateur classique de la IIIème République. Doté d’une grande notoriété, il reçoit la Légion d’honneur et la médaille d’or de la société de Géographie de l’Est. Ses compétences sont reconnues en botanique, zoologie, géographie et ethnologie. Toujours pieds nus, avec des vêtements blancs, une barbe abondante, et un chapeau à large bord, il est représenté de cette manière sur toutes les gravures illustrant ses expéditions. Ces critères sont censés évoquer l’exotisme et la dureté des conditions de vie.

Il apparaît comme quelqu’un de désintéressé, ayant pour seule motivation la volonté de servir la science. En effet, sa contribution est grande: il effectue des tracés cartographiques avec des relevés altimétriques et barométriques, mais aussi des descriptions détaillées des reliefs, cours d’eau, et voies de communication. Avec un recensement riche de la faune et de la flore, il rapporte de nombreuses données ethnographiques, anthropologiques, hydrographiques et botaniques. Grâce à sa rencontre avec la fille d’une sorcière, il apprend également à manier le curare, aujourd’hui utilisé dans les services de chirurgie ou de réanimation.

Outre ces compétences, il était aussi réputé pour son ouverture d’esprit et sa curiosité. Lors de sa première expédition, il rencontre les Bonis, un ancien peuple d’esclaves évadés. Il étudie leur coutumes et leur culture pendant plusieurs mois, et se lie d’amitié avec Apatou, qui l’accompagne partout dans ses expéditions, et lui confère une certaine légitimité. Il interagit beaucoup avec les peuples locaux et effectue une véritable enquête anthropologique dans le delta de l’Orénoque, chez les indiens Guaraounos. Il apparaît comme voulant élargir la vision du monde française et les connaissances de l’élite militaire, et incarne des idéologies progressistes: soutien à Dreyfus, anticléricalisme, protection de déportés évadés..

Il est même parfois présenté comme un pré-écologiste, voulant préserver la forêt amazonienne. 

 

Cependant, son image positive est contestée par des spécialistes: Crevaux aurait pillé des tombes, exécuté un indien, et aurait entretenu des préjugés racistes au cours de ses recherches. 

Tous les objets pillés qu’il a apportés représentent 430 pièces, et la collection est entrée au Musée d’ethnographie du Trocadéro en 1881.

Il était également partisan d’une géographie utilitaire, promouvant la mise en valeur des territoires au service de l’expansion de la civilisation occidentale. Sa démarche n’était donc pas totalement désintéressée et revêtait un caractère colonial, économique et politique.

De plus, son action a permis l’opportunisme des républicains, qui étaient dans l’idée d’une colonisation revancharde contre l’annexion de l’Allemagne, des allemands, qui avaient tout intérêt à ce que l’attention de la France soit tournée vers le colonialisme, et de l’Amérique du Sud, qui soutenait une expansion purement scientifique.

Ses compétences sont également remises en cause: il aurait eu des difficultés à préparer ses voyages, car il manquait de financement et menait parfois des missions non-officielles et non autorisées, et ses expéditions étaient souvent désorganisées.

Ses détracteurs l’accusent d’avoir contribué à alimenter une vision négative de l’Amazonie (Enfer vert), la promotion d’une exploitation inconsidérée de la nature, et l’idéologie d’une infériorité des cultures amérindiennes en pensant qu’elles étaient vouées à disparaître ou à ne pas progresser. Ceux-là le présentent comme étant un explorateur-colon .

Après sa mort, la municipalité de Nancy appelle à émettre des réserves quant à son apparence de grand explorateur et pointent sa responsabilité dans le massacre de Pilcomayo. De nombreuses polémiques médiatiques ont lieu à son sujet, entre les journaux qui font ses louanges et ceux qui l’accusent de ne pas avoir pris assez de précautions.

L’emplacement du buste de Crevaux fait débat, car certains estiment qu’il ne fut pas si important que ça. Le buste fut finalement installé au jardin botanique de Nancy (6 mètres de haut, socle avec une fontaine et 4 mascarons qui représentent les 4 types d’indiens étudiés par Crevaux)

Plus récemment, des débats ont eu lieu autour d’une rue qui porte son nom.

 Notice rédigée par Naya B. et Louise B.

Sources:

- Francis Grandhomme, “Reconsidérer la figure de l'explorateur du XIXe siècle : le cas de Jules Crevaux (1847-1882) et de l'Amérique du Sud”, Outre-Mers. Revue d'histoire, 2011. https://www.persee.fr/doc/outre_1631-0438_2011_num_98_372_4578

- Corinne Fenchelle-Charlot, Jules Crevaux : l'explorateur de l'Amazonie, de la Guyane aux Andes : médecin, dessinateur, géographe, photographe, ethnologue, écrivain, G. Louis, 2014

http://www.professeurs-medecine-nancy.fr/Perrin3.htm

- Percebois, Gilbert, Les explorations et la mort tragique de Jules Crevaux vues par ses contemporains nancéiens, Bibliothèque Nationale, 1980

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